Malgré sa stigmatisation dans notre société, l’empathie s’établit comme une compétence majeure des professionnels de la santé tant les apports sur la qualité des soins et sur les résultats des prises en charge sont scientifiquement documentés. Associée à une communication efficiente, l’empathie est le cœur d’une relation thérapeutique humaniste et holistique. Les difficultés rencontrées avec Madame Z et la façon dont elles ont été surmontées par le praticien en sont le reflet.
Despite its stigma in our society, empathy is established as a major skill of health professionals as the contributions on the quality of care and the results of care are scientifically documented. Associated with efficient communication, empathy is the heart of a humanistic and holistic therapeutic relationship. The difficulties encountered with madam Z and the way in which they were overcome by the practitioner reflect this.
Début de journée dans un service de court séjour gériatrique au sein d’un hôpital public périphérique. L’infirmière arrive dans la salle de soin et relate le refus de Mme Z à se rendre la fibroscopie oesogastroduodénale (FOGD) prévue à 09 heures. Cet examen était négocié la veille avec Mme et organisé avec son accord. Au cours de la matinée, la situation de blocage prend de l’ampleur au point que Mme Z entre dans un mutisme après avoir réclamé une sortie contre avis médical. Avant d’aller plus loin, l’équipe est interrogée.
– Pourquoi, aujourd’hui, Mme Z refuse-t-elle de faire la FOGD qu’elle avait pourtant acceptée de la faire hier ?
– Elle a peur, répond l’équipe.
– Peur de quoi exactement ?
– De la fibro peut-être ?
Le vécu des personnes en soin et l’état émotionnel qui en résulte sont souvent la clé dans ces situations. Une attitude paternaliste ou autoritaire ne ferait qu’aggraver le conflit et éroderait la confiance, si nécessaire à la relation thérapeutique, de Mme Z. Une approche empathique est préférée pour explorer ses difficultés [1].
Le cas clinique présenté ci-après s’attarde sur les aspects humains et relationnels de l’exercice médical. Pour les mettre le plus justement en valeur, les auteurs choisissent de le rédiger à la première personne du singulier. Bien conscients que cet usage, habituel dans la littérature médico-scientifique dans ses rapports de cas ou ses partages de perspective, pourra perturber certains lecteurs, les auteurs souhaitent souligner le fait que ce choix n’enlève rien à la portée académique de l’écrit.
Étonné par l’évolution du refus de Mme Z, je m’avance vers la chambre, donne mon téléphone à l’infirmière puis entre dans la chambre après m’être signalé en tapant à la porte. Je respire calmement une fois et me détends. Je m’assure de bien desserrer ma mâchoire. Je souhaite transmettre rapidement mon état émotionnel à Mme Z. Je m’assure d’emblée d’établir un contact visuel fort, empathique, auquel j’ajoute un discret sourire apaisant. Mon attitude corporelle est décontractée : regard « souple » sous l’horizon, épaules abaissées, tronc vertical et souple, respiration calme et inaudible. J’évite d’incliner ma poitrine vers l’avant, car cela pourrait être interprété comme une posture de colère et de combat. Je me déplace sans hâte dans la chambre. J’attrape la chaise qui se trouve au pied du lit, la positionne sur le côté gauche du lit, à hauteur de la poitrine de cette dame. Je la tourne légèrement de trois quarts pour éviter que mon buste se dirige droit face à cette dame une fois assis. Je m’installe, toutes les articulations de mes membres inférieurs sont à l’équerre : cheville, genoux et hanche. Mes pieds sont à plat sur le sol. Mes mains reposent l’une sur l’autre au niveau du bassin sans montrer le moindre signe d’impatience. Mon visage se tourne de quelques degrés vers Mme Z et j’incline très légèrement la tête vers mon épaule gauche et vers le bas. Mon regard est à hauteur du sien. Aucune lumière ne gêne notre contact visuel. Je respire délicatement pour me centrer sur moi-même afin d’éliminer d’éventuelles émotions perturbatrices, avant d’entamer la discussion. Bien que j’ai été bercé pendant de longues décennies par Iron Maiden et Metallica, je sais maintenir un timbre de voix doux et chaleureux. J’use aussi d’une certaine musicalité et d’une rythmicité choisie durant un échange pour le rendre plus dynamique et émotionnellement fluide. Je lâche prise sur toute idée de contrôle de la situation, car, d’après mon expérience, le conflit se résoudra tout naturellement. À peine quelques secondes seulement viennent de s’écouler.
– Bonjour Mme Z. comment ça se passe pour vous ce matin ?
– Horrible docteur, je veux partir, me répond-elle furieuse.
– Il me semble que vous êtes furieuse et que vous voulez partir. C’est ça ?
– Oui, ils veulent me forcer à faire une fibroscopie de l’estomac. Je ne veux pas.
– Vous forcer me dites-vous ?
– Oui, je ne veux pas la faire. C’est tout docteur, laissez-moi partir.
– J’entends votre agacement et j’entends que vous ne voulez pas faire la fibroscopie. Pour que je vous comprenne bien. Hier, nous avons discuté de votre anémie. Vous en rappelez-vous ?
– Oui.
– Je vous ai proposé un premier traitement et vous ai invité à envisager de réaliser une fibroscopie de l’estomac.
– C’est vrai docteur.
– Vous aviez de l’appréhension et finalement nous nous sommes accordés à faire cet examen.
– Oui, mais j’ai peur.
– J’ai peur me dites-vous et c’est bien compréhensible. Pourriez-vous m’en dire plus sur cette peur ?
Je me penche vers elle et pose les coudes sur mes genoux, comme pour renforcer le contact avec ses émotions, ainsi que pour lui montrer ma curiosité et ma bienveillante proximité.
– J’ai peur de mourir. Ma mère est morte dans cet hôpital, dans ce service le lendemain de sa fibroscopie. J’ai peur de mourir comme elle après.
– Ah, je comprends. Votre mère est décédée après une fibroscopie et j’en suis désolé.
– Elle était en soins palliatifs. Le docteur avait dit que son état était critique. Il parlait d’un ulcère et d’une injection ou une sorte d’élastique dans l’estomac.
– D’accord. Votre mère était en soins palliatifs et avait sûrement un ulcère de l’estomac qui saignait en abondance.
– C’est ça docteur, une hémorragie.
– Et quand j’ai parlé de fibroscopie, comme en plus vous êtes hospitalisé dans le même service que le fut votre mère, vous avez imaginé le pire pour vous comme cela a été le cas pour votre mère.
– Oui c’est ça.
– Je saisis mieux le sens de votre réaction. (Silence) Je me sens perplexe, car j’ai besoin de m’assurer que vous compreniez bien l’intérêt de cet examen. Accepteriez-vous que je vous explique à nouveau le pourquoi de la fibroscopie ? Ensuite nous pourrions décider de ce que nous ferons. Êtes-vous d’accord ?
– Oui.
– Votre anémie est plus légère que celle qu’a dû présenter votre mère et la fibroscopie sera utile pour assurer un diagnostic plus précis afin de mieux choisir les traitements. Actuellement, votre état de santé est très éloigné d’une prise en charge palliative. Votre situation est très différente à celle de votre mère et malgré tout il est naturel de ressentir de la peur avant un examen difficile. (Je laisse à nouveau s’évaporer un silence) Que faisons-nous alors pour cette fibroscopie ? Je peux la reprogrammer, l’annuler ou s’il nous reste du temps vous la faire passer maintenant. Qu’en dîtes-vous ?
– Je veux bien la faire maintenant parce que demain j’aurai trop peur.
– D’accord, je vois ce qu’il est possible de faire. Souhaitez-vous un léger sédatif avant de faire l’examen ?
– C’est possible docteur ?
– Bien sûr.
– Alors oui.
Deux minutes, peut-être trois se sont écoulées. Je suis encore très concentré à la fin de l’échange. Ces entretiens demandent beaucoup d’énergie psychique, de mémorisation et d’attention. Ces échanges ne se passent pas toujours de façon aussi aisée. Cela dépend principalement de mon niveau de conscience émotionnelle. Plus je suis en phase avec mes émotions et m’efforce de les gérer, plus l’échange est fluide. Par contre, plus je lutte contre mes émotions, contre moi-même, plus la conversation est astreignante.
Grâce à cet échange empathique, Mme Z a pu exposer sa problématique vis-à-vis de la fibroscopie. Ayant été validée et légitimée dans son émotion, ici, la peur de mourir, elle a pu envisager sa propre situation en limitant les projections de ses expériences passées. Pour finalement accepter l’examen, sous couvert d’une légère sédation. Évidemment, ayant ouvert la porte, il est souhaitable de travailler sur la peur de mourir, le deuil de la mère… Après la fibroscopie par exemple.
La présentation ici réalisée est une invitation à explorer plus en détail le concept d’empathie dans les soins [1,2,3] en tant qu’attitude relationnelle et humaine positive [4]. Définir ce qu’est une communication empathique, et par ricochet l’empathie, est une question importante pour les soignants. L’empathie prend naissance dans la philosophie. Le concept a été introduit dans le champ de la thérapie vers le milieu du XXe siècle, plus particulièrement par Martin Buber et Carl Rogers. Il se positionne dans un carrefour au croisement de nombreuses disciplines et sa définition peine encore à trouver un consensus dans les différentes communautés. Succinctement, l’empathie correspond à la capacité de ressentir l’état interne, subjectif et émotionnel, d’une personne et de le comprendre. Malgré sa jeunesse, l’empathie est stigmatisée dans notre société. Alors même qu’elle constitue un élément fondamental et incontournable de la relation interpersonnelle et thérapeutique du modèle biopsychosocial de la médecine [5]. Elle mérite d’être prise en considération dans toutes ses dimensions. Car son impact, tant sur les soins que sur la santé, est scientifiquement documenté et remarquablement au service des uns comme des autres.
La communication empathique constitue le cœur même d’une approche humaniste et des soins centrés sur la personne [2]. Elle vise à établir une relation thérapeutique solide où la personne soignée puisse se sentir acceptée telle qu’elle est et en sécurité psychologique. Ces deux éléments fondamentaux (l’acceptation inconditionnelle de soi et le sentiment de sécurité psychique et physique) permettent aux personnes soignées d’élaborer un sentiment de confiance vis-à-vis des soignants et facilitent une exploration plus en profondeur des problématiques . De plus, l’empathie soutient la compréhension empathique tout aussi essentielle à la relation thérapeutique et supporte les valeurs humanistes de la médecine et du soin que sont la dignité, le respect de soi et d’autrui, la tolérance, le droit à la liberté, la prise en compte en globalité de chaque personne, la compassion, l’altruisme et bien d’autres encore [6,7]. Elle a pour objectif principal de favoriser un meilleur état de santé et en fournit un moyen d’y parvenir. Subtil mélange de non verbal et de verbal, elle s’acquière par l’exploration des connaissances scientifiques disponibles, par l’expérimentation (supervisée) individuelle ou en groupe et par la simulation (jeux de rôle par exemple). Bien qu’il existe plusieurs modèles de communication empathique, l’utilisation seule d’une technique de mise en œuvre par les soignants (qu’elle soit verbale ou non verbale) ne constitue pas une communication empathique. Tout au mieux, ces techniques donnent des repères, des outils aux soignants. Le souci de l’autre et la recherche d’une prise de perceptive sont primordiaux au processus empathique [8].
Les aptitudes empathiques, et particulièrement relationnelles, sont accessibles à un enseignement et peuvent être cultivées, renforcées [3]. Cet enseignement, régulièrement approfondi, protégerait de l’épuisement professionnel.
En conclusion, l’empathie, incluant sa composante relationnelle, est au cœur de la relation thérapeutique. En raison de ses effets, elle définit et dépasse une simple posture humaniste. Des formations spécifiques sont bénéfiques même si des recherches sont encore nécessaires pour appréhender au mieux les modalités de ces formations et leur impact sur le long terme [1].