Le refus de soins désigne la situation où une personne choisit de s'opposer à recevoir certains soins proposés par les professionnels de santé. Il peut être question de l'examen physique, de soins d'hygiène, de traitements médicaux, d'actes chirurgicaux, de la prise de paramètres vitaux, de prélèvements, d'aides à domicile ou en structure gériatrique, ou de tout autre type d'intervention. Il peut être temporaire, fluctuant ou permanent et se distingue de l'arrêt des soins qui est une décision médicale . En gériatrie, où les personnes sont souvent vulnérables et nécessitent des soins réguliers ou souffrent de troubles neurocognitifs, le refus est une situation fréquente, à très fréquente, d'origine multifactorielle.
L'idée générale est de sortir de la notion de fatalité et de démontrer qu'il est possible d'agir sur le refus de soins, et ce, même très en amont. En effet, il semble intéressant de travailler des attitudes et des stratégies dont l'objectif est d'éviter l'installation des refus chez les personnes présentant des troubles neurocognitifs. Tout en gardant à l'esprit qu'en présence d'un refus de soin répétitif, malgré une approche adaptée, il est indispensable de questionner l'aspect éthique de la prise en soin et de considérer les refus comme le désir d'arrêt des traitements et des soins.
Les trois situations cliniques qui suivent sont inspirées d'échanges sur des cas réels et fréquents en gériatrie.
Un homme de 79 ans atteint de la maladie d'Alzheimer à un stade modéré est hospitalisé pour une infection urinaire. Lorsque l'infirmière lui présente ses médicaments, il les repousse avec violence. L'infirmière les reprend et essaie de négocier, seulement l'échange devient vite tendu et le ton menaçant. Plusieurs jours passent avec des refus itératifs et fluctuants. Plus tard, quand l'infection est maîtrisée, l'équipe apprend que Mr croyait être empoisonné par ses traitements.
Une femme de 82 ans avec des antécédents d'accident vasculaire cérébral responsables de séquelles motrices et d’une aphasie fait preuve d'une réticence croissante à l'heure de faire sa toilette. Les soins d'hygiène matinaux deviennent un temps de conflit. Ses refus compromettent son hygiène et son confort quotidien. Pourtant, grâce à l'utilisation d'une tablette graphique, cette dame parvient à exprimer à la psychologue sa peur d'être maltraitée et de chuter du lit pendant les soins. Elle garde le souvenir douloureux d'une intervention où elle s'était sentie brusquée lors d'un soin matinal et était tombée du lit.
Un homme de 86 ans, bon vivant de son jeune temps, commence à délaisser ses repas. Il perd du poids et semble indifférent à la nourriture. Il dénigre régulièrement les plateaux-repas insipides. Ses régimes diabétique et sans sel combinés rendent ses aliments fades. Sans aucune saveur, il n'en tire aucun plaisir. L'équipe est perplexe devant l'aggravation de son état de dénutrition, car aucun diagnostic précis n'explique ce changement et des escarres apparaissent.
Ces situations de refus de soin, de traitement ou d'accompagnement, ici simplifiées, sont très diverses. Ces trois histoires cliniques soulignent d'emblée la nécessité d'une approche individualisée, empathique et centrée sur la personne dans les soins gériatriques, comme ils disent l'importance d'une formation spécialisée pour les professionnels de la santé.
L'échelle Resistiveness To Care (RTC) se compose de 13 items pour aider à objectiver les attitudes de refus de soins en présence d'une maladie neurocognitive (voir tableau 2). Il est possible d'affiner l'évaluation en détaillant : la variabilité des symptômes, pour chaque type de comportement de résistance, sa fréquence, sa durée, son intensité, sa cohérence, son aspect actif ou passif et son niveau de gravité. L'analyse de ce dernier item s'appuie sur la compréhension fine des conséquences à la fois pour la personne soignée, l'équipe soignante et les proches aidants. Cet ensemble d'information est reproductible de sorte qu'il facilite l'évaluation initiale ainsi que le suivi du refus de soins. Une simple grille de surveillance horaire, journalier ou hebdomadaire peut s'avérer ici très utile.
L’évaluation peut être complétée par les échelles et tests (non spécifiques) suivants : NPI, BEHAVE-AD, CMAI, Cornell, MMS, 5 mots de Dubois, Test de l'horloge, CAM, GAI, Échelle d'intentionnalité suicidaire de Beck, Pallia10-Géronto, Algoplus, Doloplus, ECPA .
La stratégie générale est celle de la prise en charge des troubles psycho-comportementaux lors des maladies neurocognitives et cherche à définir les meilleures options thérapeutiques personnalisées et humanistes. La stratégie comporte différentes actions.
S'assurer d'une connaissance la plus précise possible de la personne âgée (son histoire de vie, ses appétences, ses désirs, ses directives anticipées, etc.) dans le but d'approcher un sens aux différents comportements.
Pratiquer une évaluation gériatrique multidimensionnelle et mettre en œuvre une stratégie individualisée grâce à la méthode DICE (décrire, investiguer, co-créer une stratégie de prise en soin, évaluer) .
Éliminer des causes organiques ou psychiques accessibles à un diagnostic et un traitement spécifique comme un épisode confusionnel aigu, une dépression, une pathologie neurocognitive, des douleurs (quelle qu'en soit l'origine), des troubles psychotiques, des troubles sensoriels, etc.
Réaliser une revue des thérapeutiques en cours, certaines sont potentiellement iatrogènes, d'autres manquent peut-être à la prescription ou leur voie d'administration est inadaptée. S'appuyer sur les critères Start/Stopp2, Beers, etc.
Définir des objectifs réalistes comme : diminution du nombre de refus ou travail sur l'acceptation des soins d'hygiène plutôt que de viser le “zéro refus”. S'aider d'une grille journalière ou hebdomadaire et de l'analyse fine des conséquences des refus de soins.
Évoquer la situation lors d'une réunion interdisciplinaire et questionner l'aspect palliatif des refus répétés.
Intégrer les proches aidants aux démarches et aux soins afin de les accompagner dans l'élaboration d'une dynamique vertueuse. Autrement dit, définir une approche des refus de soins qui évite l'épuisement et limite les comportements qui risquent d'intensifier l'opposition.
Les soins centrés sur la personne représentent le “gold standard” en termes d'accompagnement au quotidien même en cas de maladie neurocognitive sévère .
La stabilité de l'équipe soignante, non compromise par une forte rotation du personnel, contribue à l'harmonisation des pratiques et à l'établissement d'une routine rassurante. Deux fondamentaux en présence de refus de soins.
Les styles de communication comme l'“elderspeak” (langage infantilisant) et la communication contrôlante ou négative sont associés à des situations de refus. Favoriser une communication empathique et humanisante diminue le risque de refus de soin et de traitement .
La diffusion de musique, le chant par les intervenants et l'utilisation d'instruments de musique au son apaisant (comme les tongue-drums) réduisent les comportements de refus. Ces interventions sont peu coûteuses et faciles d'accès.
Des méthodes alternatives de bain (bain avec serviette, douche centrée sur la personne, bain thermal) ont été analysées. Elles diminuent les refus comparées au bain traditionnel en baignoire.
Les approches centrées sur les capacités de personnes ou sur la formation des soignants semblent moins efficientes sur la problématique du refus, tout comme l'aromathérapie et les techniques de présence simulée. Toutefois, leur impact sur l'agitation, l'anxiété et les comportements perturbateurs est positif. Ils sont donc à prendre en considération.
Enfin, les éléments clés en présence de refus de soins ou de traitement sont résumés dans la figure 1 .