L’empathie dans les soins. Mythe #08 : Être empathique avec tout le monde ? Impossible !
Auteurs et références
- Dr MAEKER Eric
- Médecin gériatre et psychogériatre, France.
- Président de l’association Emp@thies, pour l’humanisation des soins. empathies.fr
- MAEKER-POQUET Bérengère
- Infirmière diplômée d’État, France.
- Secrétaire de l’association Emp@thies, pour l’humanisation des soins. empathies.fr
- Correspondance : eric.maeker@gmail.com
- Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêts.
L’empathie dans les soins. Mythe #08 : Être empathique avec tout le monde ? Impossible !
Comment faire preuve d’empathique avec tout le monde ? Est-ce seulement réaliste ? Thich Nhat Hanh s’interroge à ce propos. Il réfléchit sur les pirates des fleuves de son pays. Pour éveiller son empathie envers eux, il se demande si, lui-même, aurait mieux réussi qu’eux dans leur contexte de vie [1].
Depuis 2020, la COVID19 a bousculé l’ensemble de la civilisation. Elle a choqué l’humanité et l’a conduite dans sa période de « grand confinement ». Alors qu’à peine un an après son émergence, une vaccination est disponible et change la gravité de la maladie, une partie de la population refuse ce traitement. Depuis décembre 2021, lors de la cinquième vague, les hôpitaux recommencent à connaître un afflux important de personnes (pour l’essentiel non vaccinés) souffrant de la COVID19 dans sa présentation la plus grave. Face à cette file d’attente sans fin pour les services de soins critiques, la colère des soignants éclate [2,3]. Pourquoi cette file n’attendait-elle pas devant les centres de vaccination ?
Cela dit, de la colère à l’exclusion, la frontière est maigre. Des voix s’élèvent pour contraindre les plus anciens à se vacciner, et même l’ensemble de la population. Les non-vaccinés sont pointés comme les fauteurs de troubles. Des réflexions éthiques sont suscitées pour réfléchir au tri des patients alors qu’en réalité la problématique réside en grande partie dans les moyens alloués à la santé dans notre pays et leur répartition. Sans oublier qu’il existe d’autres traitements que la vaccination pour la COVID19. Les soignants irrités par cette frange de la population non vaccinée réussiront-ils encore à être empathiques à leur égard ?
De l’empathie pour les non-vaccinés
Margaret et William, professeurs de médecine aux États-Unis d’Amérique, écrivent dans un article publié en octobre 2021 leur réflexion. Celle-ci les conduit à envisager plus « d’empathie pour les non-vaccinés » [4]. Ils établissent un parallèle avec le cancer du poumon et la réponse à la question « avez-vous déjà fumé ? » qui sonne comme un aveu de responsabilité. « Blâmer les patients pour leurs problèmes de santé est une pratique antérieure à la médecine scientifique », écrivent-ils. « Mais elle semble avoir empiré avec le temps », poursuivent-ils. Et pourtant, « améliorer la santé grâce aux modifications du comportement peut se faire sans diffamation ». Cette « mauvaise habitude » menace « de détruire l’empathie des soignants requise pour établir une relation thérapeutique ». Ils portent le constat que cela n’est jamais plus vrai qu’avec la COVID19 quand les unités de soins intensifs se remplissent de personnes non vaccinées. Les professionnels sont épuisés et se sentent en insécurité. Alors que le simple geste de se vacciner aurait permis de limiter cette situation, « il est exaspérant que tant d’individus ne l’aient pas fait ».
« Il est difficile de voir des gens mourir d’une maladie évitable ». De plus, le corps soignant « n’est pas qualifié pour être juge et jury ». Car à travers les jugements, ils s’exposent à un risque d’erreur. Margaret et William suggèrent de faire évoluer la communication des soignants. Puisque, soulignent-ils, celle-ci peut influer sur l’empathie et perfectionner les prises en charge (comme pour la toxicomanie qui a bénéficié d’être présentée comme une maladie). Ils conçoivent une autre approche : « les soignants sont tristes que des personnes succombent aux mensonges répandus par des individus en qui ils ont eu confiance ». Ils sont « déconcertés qu’ils leur aient fait confiance plus qu’en eux ».
« Les gens seront toujours malades », ils ne cesseront de « faire de mauvais choix » et les soignants prendront toujours soin d’eux. Il est temps d’avoir plus d’empathie pour les non vaccinés. »
Prendre conscience des modulateurs de l’empathie
Les freins à l’empathie, tels que l’appartenance à un groupe social [5,6] ou les jugements portés par les soignants [7] brouillent leur engagement empathique.
Il est à la fois naturel et heurtant d’observer des fractures sociales se creuser entre les vaccinés et les non-vaccinés. En gériatrie, le pire des constats implique des personnes âgées fragiles. Car, elles représentent la population privilégiée pour la vaccination en raison du bénéfice de celle-ci sur leur risque (majeur) de décès. La COVID19 a même été baptisée « boomer remover » [8] dans la presse anglosaxone [9]. En France, des professionnels de la santé, lors d’interviews sur des chaînes d’information, ont qualifié, au mépris de toute dignité humaine, les résidents d’EHPAD de « gens qui attendent la mort ». Et que penser des propos du Président de République française [10] ? Dans une analyse menée sur Twitter, sur 82 629 tweets relatifs aux personnes âgées et la pandémie, 1 300 comprennent des plaisanteries sur leur décès [11]. Limitation d’accès aux ressources [12], blagues incongrues, et autres messages stéréotypés [13] ont fait émerger le terme de gérontocide ou sénicide [14].
Ainsi, alors que l’action de prévention implique les plus âgés, l’âgisme n’aura jamais autant choqué qu’en cette période. Il ostracise une partie de la population sur la base de son âge élevé (ou trop jeune pour jeunisme). Il prend plusieurs apparences : insidieuses ou criantes. Depuis mars 2020, plusieurs professionnels se sont dressés contre la progression de ce mal civilisationnel [15] : dans un éditorial commun [16,17,18,19,20], des analyses du système de santé [21] et dans la faible inclusion des personnes âgées au sein des essais thérapeutiques (dont la vaccination) [22]. Car, en plus d’asphyxier l’empathie, l’âgisme dégrade le bien-être, la qualité de vie et même l’espérance de vie des plus anciens [23], sans compter son coût pour la société [24].
En raison de quoi, il est légitime de s’interroger sur l’empathie orientée vers cette population. Reconnaître les droits inaliénables de la Personne, âgée ou non, est une étape cruciale dans la lutte contre l’âgisme [25]. La promesse de restaurer l’empathie envers ces personnes vigoureuses, fragiles ou dépendantes [26,27,28], vaccinées ou non, pourrait se trouver dans la simple défense de la dignité humaine.
Comment s’entraîner ?
Les oscars décernés au film « The joker » (2019) de Todd Phillips avec Joaquin Phoenix invitent à le visionner et à s’interroger sur le fond. En particulier, comment rester indifférent au sort de cet antihéros ? Comment se prémunir d’une forme d’empathie envers lui ?
De même, le film Pirates des Caraïbes, troisième volet, met en scène une sorte de tribunal où sont énumérés les déchéances de droits à une foule d’impénitents en marche vers la potence. Sept par sept. Jusqu’à l’arrivée d’un enfant, d’une chanson, d’un ralliement, du début de l’histoire des pirates. Cette chanson a été reprise par le groupe VoicePlay avec un sens artistique à couper le souffle [29]. De quoi entraîner son empathie !
Et vous, parvenez-vous à rester empathique avec les non-vaccinés ?
Références